Non, la rechute ne fait PAS partie du rétablissement

Ce texte a été traduit et adapté par Alco-Rétab à partir d’un commentaire original de William L. White. Du fait des modifications apportées au commentaire original, les propos tenus dans cette nouvelle version du texte n’engagent aucunement la responsabilité de M. White.

 

Dans le domaine de l’alcoolisme et des dépendances, personne n’a besoin de chercher bien loin pour entendre la fameuse expression : « La rechute fait partie du rétablissement ». L’histoire de cette expression n’est pas clairement établie mais il semble bien qu’elle soit d‘abord apparue dans les conférences et dans les revues spécialisées, vers la fin des années 1970 et dans les années 1980, et qu’elle se soit par la suite naturellement propagée dans les salles de réunion des groupes d’entraide mutuelle (AA, NA, etc.).

L’intention initiale derrière l’utilisation de cette expression n’était certainement pas négative. Ceux qui l’ont utilisée en premier voulaient offrir du réconfort et de l’espoir aux personnes qui revenaient d’une rechute, qui retournaient à nouveau dans un centre de traitement ou qui réintégraient l’une ou l’autre des fraternités anonymes. On peut facilement imaginer comment un conseiller dans un centre de thérapie ou un parrain dans les AA pouvait tenter de donner une tournure positive à la situation en insistant sur les efforts renouvelés de la personne de retour et en soulignant les leçons importantes qui pourraient éventuellement provenir de l’expérience récente de rechute.

Toutefois, ces bonnes intentions cachent quand même les très mauvais côtés qui viennent avec cette expression et l’idée qu’elle contient. Selon nous, le temps est maintenant venu d’abandonner cette idée que la rechute fait partie du rétablissement et, surtout, de cesser d’utiliser cette expression nuisible et contre-productive.

Voici six (6) raisons qui justifient cette proposition de changement dans nos habitudes de langage:

Première raison:

Lorsque nous utilisons l’expression « La rechute fait partie du rétablissement », nous cessons de faire la nécessaire distinction entre la maladie (la pathologie) et le rétablissement (la santé). Si vous y penser bien, nous n’entendons jamais les gens parler d’une récidive du cancer ou d’un nouvel accident vasculaire cérébral comme faisant partie de leur rétablissement face à ces problèmes de santé. Le fait d’associer la rechute au rétablissement donne ainsi une valeur injustifiée à la rechute et à ses conséquences.

Nous devons plutôt demeurer conscients que la rechute fait partie de la maladie. En fait, la continuité de la consommation est l’un des critères déterminants de la dépendance active et elle ne figure pas comme étant un des critères du processus de rétablissement. Les symptômes de maladie et de progrès vers le rétablissement coexistent pour la plupart des maladies et des troubles, en particulier pour les troubles chroniques, mais le fait de positionner les symptômes de maladie dans un cadre de rétablissement affecte négativement le sens même de ce dernier concept. Présenter la rechute comme étant une dimension du rétablissement est en quelque sorte l’équivalent médical de redonner des vertus à la saignée du Moyen-âge utilisée dans le traitement de la pneumonie; fragilisant la personne malade en prétendant que cela fait partie de l’amélioration de sa santé et de son bien-être.

Par définition, la maladie et la santé constituent des états totalement différents. Les idées et les expressions qui brouillent et mélangent cette distinction entre les deux états nuisent au rétablissement en omettant de délimiter clairement le problème de santé duquel on cherche à sortir de l’état de bien-être auquel on aspire. L’expression « La rechute fait partie du rétablissement » n’a donc de sens que lorsque l’on n’a pas encore pleinement expérimenté le rétablissement.

Deuxième raison:

« La rechute fait partie du rétablissement » a aussi pour impact négatif de ne pas reconnaître le potentiel de rétablissement à très long terme sans épisode de rechute de consommation. En tant que tel, cette expression place la barre du rétablissement à un bas niveau, alimentant le pessimisme et dégonflant les attentes pour les personnes qui cherchent à se rétablir ainsi que pour leurs familles, pour leurs employeurs, et pour d’autres personnes ayant une influence significative dans leur vie.

Pourtant, un pourcentage important des personnes qui terminent un traitement et/ou qui se joignent à un groupe d’entraide mutuelle (AA, NA, etc.) ne consommeront plus jamais d’alcool ou d’autres drogues de leur vie. Il est temps que nous reconnaissions et célébrions cette réalisation et ce potentiel pour démontrer aux autres personnes qui cherchent à se rétablir que « ça marche », que « le rétablissement ça fonctionne à long terme ».

Ce n’est pas vrai que le temps d’abstinence n’est pas important dans le rétablissement. Le temps d’abstinence, c’est de l’expérience de vie en rétablissement. C’est l’expérience d’une personne qui fait face à tous les genres de situations que la vie amène et qui nourrit son rétablissement et refuse l’option de la rechute. C’est donc une façon de faire qui se cultive avec le temps et c’est une façon de faire qui augmente la résilience de la personne en rétablissement. Cela mérite certainement d’être valorisé et non pas diminué par certains qui prétendent que le temps d’abstinence n’a pas d’importance.

Troisième raison:

Autre impact malheureux, l’expression « La rechute fait partie du rétablissement » minimise la douleur et les pertes de vie potentielles liées à la rechute. Imaginez les proches d’une personne ayant des antécédents de dépendance qui est décédée dans un épisode de rechute. Ou bien encore, imaginez les proches d’une personne non dépendante, handicapée ou tuée dans un accident résultant de la conduite en état d’ébriété d’une personne en rechute. Qu’est-ce que ces personnes doivent penser et ressentir lorsqu’elles entendent que « la rechute fait partie du rétablissement »?

La rechute dans l’alcool et / ou la drogue peut avoir des conséquences dévastatrices et potentiellement mortelles. La personne pour qui « La rechute fait partie du rétablissement », ou pire, pour qui « La rechute, ce n’est pas grave », est souvent une personne qui n’a jamais perdu de proches, dépendant ou non, suite à la rechute d’une personne auparavant en rétablissement. Pensons-y tous, le fait de masquer cette dure réalité derrière des phrases qui dépeignent la rechute comme une expérience d’apprentissage utile revient à faire preuve d’un manque de considération manifeste pour les autres et à rendre un bien mauvais service à tout le monde.

Quatrième raison:

Autre conséquence de l’expression « La rechute fait partie du rétablissement », celle-ci offre carrément d’avance à la personne qui débute son rétablissement une invitation et / ou une excuse pour renouer avec sa consommation lorsqu’elle qu’elle rencontre des difficultés dans son cheminement. En normalisant les épisodes de rechute et en minimisant les conséquences, l’expression a carrément pour effet de provoquer ou, du moins, de favoriser les rechutes.

Dans les premiers temps du rétablissement, celui-ci est souvent caractérisé par une ambivalence très importante de la personne dépendante face à la consommation et à l’arrêt de celle-ci. Devant une telle ambivalence, la réussite du rétablissement implique la création d’une distance aussi grande que possible entre la personne qui débute son rétablissement et sa substance de choix dont elle est en train de se séparer progressivement. Le fait de laisser planer l’idée que « La rechute fait partie du rétablissement » a plutôt pour effet de raccourcir cette distance en minimisant les conséquences véritables d’une rechute et en présentant cette dernière comme faisant partie du cheminement, ce qui n’est pas le cas.

Plusieurs personnes véhiculent ainsi souvent des pensées et des idées très discutables dans les débuts de la démarche de rétablissement alors que ce qu’il faut surtout durant cette période, ce sont un langage et des idées claires, notamment au sujet de ce qui constitue un progrès vers la santé ou une régression vers la dépendance active et la maladie. L’expression « La rechute fait partie du rétablissement » manque définitivement de cette clarté indispensable.

Cinquième raison:

L’utilisation de l’expression « La rechute fait partie du rétablissement » a aussi pour effet d’alimenter la stigmatisation sociale et économique à laquelle les personnes dépendantes sont encore trop souvent confrontées. En effet, cette expression est littéralement l’équivalent d’une épée de Damoclès que l’on suspend au-dessus de la tête de toutes nos relations (personnelles, amicales, professionnelles, sociales, etc.) en laissant planer l’idée que la rechute fait partie de notre cheminement.

Cela constitue surtout une négation pure et simple de l’histoire de millions de rétablissements depuis la fondation des AA en 1935 parce qu’elle occulte le potentiel et la prévalence des rétablissements à très long terme qui constituent une réalité pour une très grande partie des membres des groupes d’entraide mutuelle (AA, NA, etc.).

Pensez-y, quel message cette expression envoie-t-elle à un(e) conjoint(e) qui décide de rester en relation avec une personne qui débute un rétablissement? À un employeur potentiel? Au propriétaire qui décide de louer ou non un appartement? Au responsable de la protection de l’enfance qui décide de recommander ou non la réunification d’une mère et de ses enfants? Aux assureurs?

Sixième raison:

Enfin, l’expression « La rechute fait partie du rétablissement » offre aussi aux différents fournisseurs de services de traitements une échappatoire facile leur permettant de se déresponsabiliser face aux résultats à venir, en termes de rétablissement, après la prestation de leurs traitements auprès de leurs patients-clients.

Il s’agit ni plus ni moins d’un chèque en blanc émis aux centres de traitement pour qu’ils puissent réadmettre continuellement les patients qui n’ont pas réussi à développer un rétablissement stable, en mettant la responsabilité de la rechute de ces derniers sur la nature du rétablissement et non sur la qualité déficiente de leurs méthodes de traitement. L’expression « La rechute fait partie du rétablissement » a certainement permis à plusieurs acteurs importants de « l’industrie des traitements », dans le privé principalement, de réaliser d’importants gains financiers.

Par contre, elle a surtout contribué à alimenter le pessimisme du public à l’égard du traitement de la dépendance. L’industrie du traitement ne devrait pas être autorisée à se déresponsabiliser ainsi face aux résultats du rétablissement ni à continuer à exploiter financièrement la situation en utilisant à son compte une telle expression. Les processus de dépendance et de rétablissement sont beaucoup trop complexes pour être facilement capturés avec des slogans simplistes comme celui qui dit que « La rechute fait partie du rétablissement ».

Certains spécialistes, comme William L. White, ont d’ailleurs suggéré que cette expression soit rapidement remplacée par des déclarations qui soient plus neutres, plus précises d’un point de vue comportemental, scientifiquement défendables et thérapeutiquement bénéfiques (Voir White – Ali, 2010).

Ces énoncés pourraient comprendre les éléments suivants :

      • Les épisodes de rechute de consommation d’alcool ou de drogues par les personnes dépendantes de ces substances ne sont pas une dimension inévitable du rétablissement à long terme des dépendances;
      • Beaucoup de gens qui s’engagent dans un processus de rétablissement de la dépendance ne reprendront jamais ni alcool ni d’autres drogues dans leur vie à la suite de cet engagement envers eux-mêmes et envers les autres;
      • Plus de la moitié des personnes qui recherchent l’abstinence comme solution à leur problème d’alcool et / ou de drogue, par le biais d’une admission dans un centre de traitement de la dépendance, consommeront de l’alcool ou d’autres drogues au moins une fois après leur décision initiale d’arrêter la consommation et avant d’atteindre un rétablissement stable (durable sur le long terme);
      • Un épisode de rechute après le début du rétablissement ne signifie pas qu’un rétablissement à long terme n’est pas possible dans l’avenir, mais de tels épisodes représentent une partie résiduelle du cycle de dépendance et ne sont pas une composante du processus de rétablissement;
      • Les épisodes de rechute ne font pas partie du rétablissement à long terme, mais l’auto-évaluation et le renouvellement de l’engagement de la personne envers son rétablissement après de tels épisodes peuvent, pour certaines personnes, servir à renforcer la stabilité future de leur rétablissement;
      • Il existe des ressources pour accroître l’engagement face au rétablissement qui n’entraînent pas des risques de préjudices aussi graves que ceux des rechutes, pour soi-même et envers autrui (p. ex., dépendance prolongée, invalidité et décès).
      • La rechute peut avoir des conséquences graves. Une partie des personnes qui font des rechutes après un rétablissement prolongé ne sont plus en mesure par la suite de relancer leur rétablissement. L’adage américain qui dit que « people may have another binge in them but possibly not another recovery » est confirmé régulièrement. Tout apprentissage potentiel tiré d’une rechute est bien plus que neutralisé par les conséquences néfastes qu’une telle consommation pose aux autres et à soi-même. Les épisodes de rechute alimentent la culpabilité et la honte, ils épuisent le capital de rétablissement de la personne en rechute et ils réduisent le pronostic d’un rétablissement à long terme et d’une qualité de vie améliorée.
      • La qualité des traitements des dépendances est mesurée d’une meilleure façon lorsqu’elle est basée sur le rétablissement à long terme, un rétablissement au cours duquel les épisodes de rechute sont éliminés ou réduits en nombre, en durée, en intensité et en conséquences.
      • Les taux de rétablissement post-traitement et les taux de rechute post-traitement varient considérablement d’un programme de traitement à l’autre et d’un conseiller en dépendance à un autre. Les programmes et les conseillers individuels devraient donc être responsabilisés et évalués en tenant compte de ces résultats.

Le concept du rétablissement est de plus en plus en train de devenir un élément structurant du traitement des dépendances et de la résolution plus large des problèmes d’usage de l’alcool et des autres drogues dans nos sociétés. Le fait d’incorporer la rechute dans le concept de rétablissement constitue selon nous un important pas en arrière pour les personnes et les familles touchées, pour les groupes d’entraide mutuelle, pour l’industrie du traitement et pour la société dans son ensemble. Non, la rechute ne fait PAS partie du rétablissement face à l’alcoolisme et aux dépendances.

Références

Pour le texte original du commentaire en anglais :
White, W. (2010). Relapse is NOT part of recovery: A brief commentary.

Autre référence :
White, W. & Ali, S. (2010). Lapse and relapse: Is it time for new language?

La vie en rétablissement au Canada
Le Syndrome de l’ivresse mentale